Challenges - Avril 2004 - N° 221 - L'Editorial de Vincent Beaufils

L'erreur américaine

C'était le 24 mars, entre les deux tours des régionales, et l'affrontement gauche-droite avait laissé place sur l'agenda économique à l'incompréhension Europe - Etats-Unis. Le matin, la Commission européenne condamnait Microsoft à un demi-milliard d'euros d'amende pour abus de position dominante, après une semaine de rendez-vous manqués entre Steve Ballmer, le patron de Microsoft, et Mario Monti, le gendarme anti-monopole de Bruxelles (lire page 26). Puis déjeuner avec Daniel Derichebourg, un industriel français qui a vendu - fort bien - son entreprise au leader mondial des déchets, l'américain Waste Management, soucieux de s'implanter au milieu des années 90 dans tous les grands pays d'Europe. Deux ans plus tard, Waste Management sonnait la retraite partout où il avait tenté de s'établir. Mercredi après-midi, c'était Coca-Cola qui stoppait l'offensive sur les linéaires du continent, en retirant son eau Dasani où elle devait être référencée fin avril (lire page 67).

Comme à chaque fois que les comportements américains semblent inexplicables, une relecture s'impose : celle de l'excellent ouvrage de Pascal Baudry , Français et Américains - L'autre rive (Village mondial), dans lequel cet expert en dualité culturelle essaie de faire passer des messages des deux côtés de l'Atlantique. Au cœur des sujets qui s'entrechoquaient ce mercredi, un triple effet de la gestion américaine par process, à l'opposé de la mentalité européenne qui met davantage l'accent sur le contexte et réagit en continuum. Or, observe Baudry, « le fonctionnement américain par process - un de ses points forts - repose sur une distorsion de la perception de la réalité. La réalité n'est pas perçue pour ce qu'elle est, mais pour ce qu'on peut en faire. » En imposant ses logiciels au monde, Microsoft est convaincu d'en avoir réduit le coût d'accès pour le consommateur, peu importe si c'est une culture monopolistique qui en est le terreau ; en lançant en Grande-Bretagne Dasani, son eau du robinet filtrée qui a réussi aux Etats-Unis, Coca-Cola n'imagine pas une seconde qu'il risque d'aller dans le mur, puisque l'avantage d'un process, c'est qu'on peut le reproduire…

Pendant longtemps, la religion du process a montré son efficacité, mais la situation présente de l'économie américaine, qui ne fait plus de gains de productivité, en dehors du secteur des technologies et de la distribution (lire l'analyse de Patrick Artus, page 41), montre qu'il est peut-être temps, pour certaines multinationales américaines, de changer leur « perception de la réalité ».

Vincent Beaufils